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Jean Musy, le maître des cordes

Peu connu du grand public, Jean Musy demeure un arrangeur culte aux yeux des amateurs de chansons. On lui doit les arrangements de nombre de succès des années 60-70 (Les Champs- Élysées – sous le nom de... John Musy ! –, Une femme avec toi, So far away from L. A., J'ai encore rêvé d'elle, Lettre à un rêveur, Louise...), devenus des standards, qu'il a marqués de sa « patte »... Jean Musy a arrangé plusieurs albums de Moustaki, Michel Murty, Catherine Lara, Philippe Clay, Nicole Croisille, et la plupart de ceux de Jean-Michel Caradec et d'Yves Duteil...


Quel a été votre initéraire ?

J'ai commencé à faire du piano alors que je n'avais que trois ou quatre ans. Je jouais de façon instinctive car je n’ai pas eu la possibilité de prendre des cours. J'avais sept ou huit ans quand j'ai fait mes débuts avec des gens qui étaient du métier. Pendant plus d'un an, j’ai participé aux émissions de Jean Nohain. Ce grand monsieur présentait des émissions à la télévision mais aussi sur Radio Luxembourg, en direct du théâtre Daunou. Quelqu'un lui avait parlé de moi et Nohain a voulu me rencontrer. Il a vu que je connaissais tous les succès des chanteurs de l’époque – André Claveau, Robert Lamoureux, John William... – et m’a demandé si je pouvais les accompagner. Ce que j'ai fait quand ils venaient au théâtre Daunou. C’était ma première rencontre avec ce métier, mais ça n’a pas eu de suite.

Au lycée, j'ai rencontré des gens un peu plus âgés que moi qui m'ont fait écouter des musiciens de jazz, une musique que j'ai beaucoup aimée et qui m'a profondément enrichi. Elle m'a donné le sens de l'improvisation, le sens de vivre et d'inventer l'instant... C'est quelque chose que je n'aurais pas eu si j'avais suivi la filière classique où ce qui compte, ce n'est pas l'instant, mais l'étude. Et il est vrai que j’étais certainement trop paresseux aussi pour aller dans ce sens-là... Le temps a passé. J’ai joué dans de nombreux cabarets de jazz. J’ai travaillé avec Maxim Saury et ses musiciens, par l’intermédiaire de François de Roubaix, qui était le fils d’un client de mon père imprimeur. J'ai fait le bœuf avec eux, ils m'ont demande de rester. À cette occasion, j'ai rencontré Mickey Baker, un guitariste de jazz américain vivant en France et qui était très connu à l'époque.

Au Chat qui pêche, je jouais de l'orgue et remplaçais parfois le pia- niste Georges Arvanitas, un merveilleux musicien. Comme Georges était de plus en plus pris par des séances d'enregistrement, je venais pratiquement tous les soirs dans ce cabaret. À l'époque, je jouais de l'orgue Hammond un peu à la façon de Jimmy Smith ou de Jimmy McGriff. J'ai même joué au Blue Note. J'avais quatorze-quinze ans, ce devait être en 1962 ou 1963. Je jouais pratiquement tous les soirs dans des cabarets de jazz. C'est alors que j'ai fait un enfant à une petite dame qui était une copine d'école... et nous avons dû nous ma- rier. Cécile est arrivée au monde et il fallait que je gagne un peu plus d'argent... J'avais dix-sept ans lorsque Mickey Baker m'a présenté à Nino Ferrer. L'organiste de Nino, qui était Bernard Estardy, était en train de monter le studio CBE. Et j'ai donc remplacé Bernard pen- dant un an.


Vous avez joué sur le disque de Nino Ferrer enregistré à Dijon ?

Oui, bien sûr. Nino chantait Je voudrais être noir, entre autres. C'était une époque un peu bizarre et je n'étais pas très à l'aise car je n'aimais pas trop l'ambiance un peu glauque qu'il y avait dans l'en- tourage de Nino Ferrer... J'en ai parlé à Mickey qui m'a dit : « Je vais te présenter un jeune chanteur qui commence à marcher un petit peu... » C'était Joe Dassin. J'ai tout de suite aimé Joe, c'était un mec bien. Je suis donc entré dans l'orchestre de Joe comme pianiste et organiste.

Entre-temps, j'ai fait pas mal de séances pour des arrangeurs comme Christian Chevallier. En fait, je n'aimais que le studio, pas la scène. À cette époque, je ne faisais pas encore d'arrangements, j'étais pianiste. J'ai également travaillé avec Georges Delerue. Dans toutes les parties de piano du film Le Cerveau, c'était moi qui jouais.

Je rêvais déjà d'écrire pour des cordes... La première fois que je l'ai fait, c'était avec Patrick Abrial, pour une chanson qui s'appelait Ma femme, ma guitare et mon chien. J'avais pris trois violons et je tremblais car les mecs du classique me faisaient peur... Mais ça c'est bien passé. Et un jour, tu tombes sur un copain qui te conseille de lire le Traité d'orchestration de Berlioz. Ça a été une fenêtre extraordinaire. Dans son Traité, Berlioz explique comment il faut parler aux musiciens en fonction de leur instrument car on ne parle pas à un trompettiste comme on parle à hautboïste... Toute ma vie, je me suis rendu compte qu'il avait toujours raison. C'est l'instrument qui décide du mec, pas le mec qui décide de l'instrument...


À un moment, vous avez vous-même chanté et enregistré quelques disques... Plusieurs de ces chansons sont écrites par Laurence Matalon. Ensemble, vous avez aussi signé de belles chansons pour Éva.

Laurence était ma femme à l'époque. Nous nous sommes rencontrés chez Barclay quand j'ai fait Le cœur battant pour Éva. Avec Laurence, on s'enguelait sans arrêt, mais elle avait beaucoup de talent !


Dans les années 70, vous avez travaillé avec Michel Murty sur plusieurs albums...

J'adorais Michel, c'était un de mes meilleurs amis et un peintre merveilleux qui a laissé des tableaux superbes. Les albums que l'on a faits ensemble étaient produits par Déesse. Murty avait envie de travailler avec moi, mais il ne pouvait pas me payer. Michel Célie, le patron des disques Déesse, a alors accepté de me payer et c'est Michel Murty qui réglait le studio et les musiciens... C'était une co- production en somme.


C'est chez Déesse que vous avez connu Bernard Dimey ?

Bernard était un homme merveilleux ! Avec Michel Célie, j'ai fait trois albums de Bernard Dimey. Célie était aussi un homme que j'adorais, il a été d'une telle fidélité à Bernard... L'enterrement de Bernard avait été un moment extrêmement touchant, et lorsque Michel Célie est mort, c'était en même temps un hommage à Bernard Dimey que l'on rendait... Sa fille, Dominique Dimey, a été la femme de Claude Dejacques.


Frank Thomas est un autre auteur que vous appréciez beaucoup...

Pour moi, c'est le plus grand ! Il n'y a pas eu un auteur comme lui... J'adorais Eddy Marnay ou Pierre Delanoë, mais les textes de Frank me font pleurer...


Dans un autre genre, vous avez travaillé avec la chanteuse Marie, apparue au début des années 70 avec la chanson Soleil...

Marie, c'était une petite merveille, mais malheureusement, pour elle, on ne connaît pas ce qu'elle a fait de mieux : elle avait repris des vieilles chansons françaises comme La Rue Saint-Vincent et elle les chantait vraiment très bien ! Soleil est un très joli texte d'Eddy Marnay, c'est mignon, mais ça ne volait pas très haut. C'était des chansons « tubesques ». Marie avait un « look » pas possible, mais c'était son style à elle. Elle était rebelle et c'était aussi une petite fille. Elle s'est mariée avec le guitariste de Il était une fois, Lionel Gaillardin, qui était un copain d'école à moi. J'ai aussi une grande affection pour Richard Dewitte, un type délicieux. J'ai bien aimé ce groupe composé de copains de Colombes... Quand on était mômes, nous nous retrouvions tous au bistrot !


J'ai encore rêvé d'elle est devenu un standard de la chanson. Les arrangements vocaux sont de vous ?

Les voix, ça s'accorde un peu comme les cordes. J'adorais ça. Ce n'est par hasard si on parle de cordes vocales...


Comment arrive-t-on à travailler avec des chanteurs aussi différents ?

Simplement parce que ce sont avant tout des êtres humains... Tu as dû interviewer des gens avec qui tu n'avais, a priori, pas beaucoup d'atomes crochus ? Nous avons tous des a priori qu'il faut combattre et c'est en travaillant avec les gens que tu les combats.

Je me souviens que Charles Aznavour m'avait un peu déçu lors d'une séance... Il était arrivé au studio, accompagné de sa petite cour, et il a demandé :«Bon, où est-ce que je me mets ?» Je lui ai dit: « Charles, vous ne voulez pas écouter mes arrangements ? » « J'écouterai en chantant... » Il s'est mis derrière le micro : « Vous me faites signe... » Il a fait deux prises puis a demandé à Richard Marsan, son directeur artistique : « Alors, Richard, ça va ? » – « Oui, Charles, c'est parfait ! » Et il s'est barré ! J'ai trouvé ça triste...

Un peu plus tard, j'ai rencontré un autre Aznavour. C'était lorsque j'ai fait le disque d'adieu des Compagnons de la Chanson. Et ça a été une révélation pour moi de rencontrer Aznavour dans un tout autre contexte que le sien. Le dernier jour de séance, au studio Davout, il avait organisé un banquet, et on ne le savait pas. À la fin du mixage, on a vu arriver des gens qui ont installé une grande table et ont apporté de la nourriture et des boissons... On s'est tous retrouvés à manger et à boire, et Aznavour et Fred Mella se sont mis à raconter leur vie, à évoquer leurs souvenirs... Là, j'ai découvert un homme merveilleux et je me suis rendu compte que j'avais eu un sale a priori. En revanche, j'ai tout de suite adoré son beau-frère, Georges Garvarentz. C'est lui qui m'a fait découvrir l'opéra. C'était un homme merveilleux, cultivé, chaleureux.


Michel Jonasz ?

J'ai travaillé avec lui à ses débuts, quand il était chez AZ et qu'il chantait avec son groupe les Kingset. J'ai retrouvé Michel quelques années plus tard sur un titre, Je suis venu te dire que je t'attends, qui a été un gros succès. Michel est un homme qui a beaucoup changé, il a retrouvé une foi en l'homme et en la nature, des choses qui me sont très chères.


L'album de Gilles Marchal avec Drôle de vie, c'est vous ?

Je vais te raconter une chose qui prouve bien les carences de notre métier. On avait fini cet album un peu plus tôt que prévu, et c'était rare car, habituellement, on est à la bourre... Au studio de Boulogne- Billancourt, Gilles me dit : « Il y a des années que j'ai envie de faire une blague à Charles Talar... » On enregistre alors une version d'une des chansons phares du disque dans laquelle il chante faux du début à la fin... Et c'était difficile pour lui, car Gilles chantait plutôt bien ! Quelques jours plus tard, au comité d'écoute, on passe la version où il chante faux... À la fin de la chanson, tout le monde applaudit ! Avec Gilles, on se regarde et on pense la même chose : soit ils se foutent de notre gueule, soit ils n'ont rien entendu. Personne n'avait rien écouté et ils ont applaudi. Le producteur Charles Talar le premier.


Vous le leur avez dit après ?

Non. Mais la version sur le disque est bien sûr la bonne prise, celle où Gilles chante... juste !


Pour Darla Dirladada, vous êtes crédité comme « orchestrateur » sur le disque de Peter Lelasseux et « arrangeur d'après folklore grec » sur le disque de Dalida...

Darla Dirladada est un air du folklore grec. Je me souviens que nous avions passé une soirée très sympa avec Boris Bergman chez Georges Moustaki, dans son appartement de l'Île Saint-Louis. Il y avait des filles, on rigolait... Georges nous faisait écouter des disques de folklore grec et à un moment, on a commencé à délirer sur un des thèmes... Boris, qui n'est pas fou, me téléphone deux jours plus tard : «En rentrant chez moi, j'avais ça dans la tête et j'ai commencé à faire un texte... » et il me l'a chanté au téléphone. J'ai trouvé ça un peu ridicule. Mais deux mois plus tard, il y avait deux enregistrements de Darla Dirladada sur le marché... Celui d'un mec que personne ne connaissait, Peter Lelasseux, qui avait accepté de le faire à la demande de Boris, et puis Dalida. C'est son frère Orlando qui avait voulu qu'elle l'enregistre. Dalida, elle, s'en foutait un peu...


Dans le showbiz de l'époque, vous arriviez à imposer vos vues et vos choix artistiques ?

J'ai fait deux ou trois albums que Polydor ne voulait pas produire, et on les a réalisés parce que, avec Jacques Bedos, on a accepté de le faire avec un budget de 45 tours : on a enregistré douze titres avec le budget de quatre titres... On se dépêchait, les musiciens ont fait des sacrifices, j'en ai fait aussi beaucoup. Je me souviens que Jacques Kerner, le président de Polydor, ne voulait pas qu'on fasse un album avec Henri Tachan.

Eddie Barclay était complètement en opposition avec mes idées de l'époque – j'étais très PSU, Michel Rocard –, il savait que certains des artistes qu'il produisait ne vendaient pas beaucoup de disques, mais sa réflexion était la suivante : « Il faut que ça existe... » Barclay est un homme qui a fait du bien à la chanson. Il reconnaissait le talent des autres et aimait les artistes. Quand on prenait le petit déjeuner avec lui, on lui faisait écouter des chanteurs dont certains étaient tout à fait à l'opposé de ses convictions politiques ou religieuses, et il disait : « Ce mec-là a du talent, il faut qu'on le fasse... » Il appelait Léo Missir ou un autre directeur artistique, on se tapait dans la main et cela suffisait...

J'ai coutume de dire que j'avais deux papas : Claude Dejacques et Jacques Bedos. Dejacques a été une rencontre importante. Avec lui, j'ai fait les orchestrations des premiers disques de Catherine Lara, de pratiquement tous les albums d'Yves Duteil et de Jean-Michel Caradec... Avec Bedos, j'ai travaillé pour Serge Reggiani, Georges Moustaki, Maxime Le Forestier, Dick Annegarn... Lorsque Bedos a quitté Polydor et est entré chez Disc'AZ, il y a eu Isabelle Mayereau.


Il y a des chansons que vous avez marqué de votre empreinte, comme Lettre à un rêveur, par exemple, ou So far away from L. A. Cela vous demandait du temps de faire l'arrangement d'une chanson ?

Cela dépendait. Lorsque les choses sont limpides et proches de ton univers, cela va vite. Pour So far away – une des chansons que j'aime le plus –, je n'ai pas dû mettre beaucoup de temps... Je me sou- viens que Nicolas et Lucid étaient un peu déçus parce qu'ils voulaient faire les guitares ou le piano eux-mêmes. Mais c'était très compliqué parce que je changeais les harmonies, je modifiais la structure des chansons...

À l'époque, on enregistrait trois ou quatre titres par séance. On devait aller vite, très vite, ça coûtait de l'argent car on avait tous les musiciens en direct. Dans ces années-là, on avait des moyens parce qu'on vendait beaucoup de disques mais, malgré tout, il fallait que l'on fasse gaffe. Les Champs-Élysées, on a dû l'enregistrer en quatre pistes. Aujourd'hui, il n'y a plus de limites...

Quand j'ai fait La Maison du bonheur de Francis Lalanne, on a eu des problèmes de fric, tu ne peux pas savoir à quel point... C'est Frank Thomas qui avait produit le disque avec l'aide de notre ami Claude Pascal. Mais Francis ne comprenait pas que l'on avait des obligations financières vis à vis du mec qui investissait... Pour Nicole Croisille, j'avais fait l'arrangement de Parlez-moi de lui et d'Une femme avec toi... Nicole ne vendait pas beaucoup de disques jusque-là et Parlez- moi de lui a été son premier grand succès. Une femme avec toi, son deuxième. Mais Nicole ne jurait que par Aldo Franck...


Il arrive que des artistes n'aiment pas trop leurs succès...

Dick Annegarn a mis des années avant d'aimer l'arrangement que je lui avais fait de Bruxelles. Il jouait bien de la guitare mais n'avait pas l'habitude du studio et il voulait sans cesse recommencer... Donc, j'ai été obligé de le faire au piano. Et Bruxelles n'était pas le titre phare de l'album, un de ces albums que l'on avait fait avec un budget de 45 tours...


Une question d'ordre général : comment naît un arrangement et quel est l'apport de l'arrangeur ?

Dans Les Champs-Élysées ou dans J'ai encore rêvé d'elle, l'apport de l'arrangeur, ce sont les réponses musicales ou les contrechants... J'ai encore rêvé d'elle, c'était joué à la guitare au départ. Les Champs- Élysées, c'était un truc folk très traditionnel, un peu bluegrass, pas du tout le truc un peu jazzy que l'on connaît...


Est-il vrai que l'arrangeur anglais de Joe Dassin, Johnny Arthey, était malade ce jour-là ?

Oui, et je l'ai remercié d'être malade ! (rires). Au dernier moment, Joe Dassin m'a demandé de faire l'arrangement des Champs-Élysées, la face B du 45 tours... Le chemin de papa, la face A, avait été arrangé par Johnny Arthey. J'ai écrit l'orchestration des Champs-Élysées dans le taxi qui me conduisait au studio... J'avais déjà imaginé une première orchestration, mais j'ai tout déchiré et tout réécrit pendant les encombrements. C'était l'époque où on était en train de construire le périphérique...

C'est Monique Le Marcis, de RTL, qui a tout de suite senti que Les Champs-Élysées était un tube... Monique est une femme merveilleuse. Tout ce qu'on aime de ces années-là est passé par elle. C'est une amoureuse de la chanson, elle a vécu ce métier, elle l'a aimé.

J'aimais bien Joe, mais je l'ai quitté parce que je détestais les tournées, je n'aimais pas l'ambiance des spectacles et le côté approximatif des galas. Je n'aimais que le studio... La dernière chose que j'ai faite avec lui, c'est un Olympia, je crois. J'ai continué à le voir parce qu'on faisait beaucoup d'émissions avec les Carpentier, avec Jeane Manson, avec Il était une fois... On se retrouvait toujours à ces émissions-là.

Le succès est venu tout de suite et il a été difficile pour moi de reculer et de renoncer à ce qu'on me proposait. J'ai dû faire certaines choses que je n'aimais pas trop, mais il fallait aussi que j'apprenne, j'étais un autodidacte...


Vous avez participé au disco, peut- être sous pseudonyme ?

Non, pas du tout, je détestais ça ! Les années 80 ont été terribles pour moi avec l'arrivée du disco et tout ce qui a suivi... Le disco a tout transformé dans le métier car, du jour au lendemain, les producteurs étaient des gens qui venaient du milieu de la pub, ce n'était plus des amoureux de la chanson. Ce n'était pas l'amour du métier qui les motivait, mais l'amour du pognon... Alors, plein de gens se sont retrouvés à la rue. Claude Dejacques a eu de gros problèmes, Jacques Bedos a été viré de chez Polydor... Heureusement, Paul de Senneville l'a rattrapé chez AZ...

Dans la pub à l'époque, on gagnait beaucoup d'argent et les compositeurs qui y travaillaient en gagnaient beaucoup plus que nous. Les mêmes continuent aujourd'hui, d'ailleurs, autrement, sous une autre forme, car avec les machines, on peut faire n'importe quoi... Et ça plaît toujours à la production parce que la production ne demande qu'une seule chose : que ça ne coûte rien et que ça plaise aux gens !


Quand on écoute un disque enregistré avec de vrais musiciens et de vrais instruments, on fait tout de même la différence...

Oui, mais les gens du métier s'en foutent ! On ne respecte plus la tessiture d'un instrument ! Se servir des machines, pourquoi pas, mais à condition d'avoir l'expérience des vraies cordes et des vrais instruments... En réalité, le domaine dont on parle est insignifiant par rapport au reste, c'est-à-dire à la politique, à l'économie, mais c'est le même processus. C'est le même regard que l'on a sur la qualité des hommes, la qualité du travail, la qualité de l'âme. Tout est lié.


Au cinéma, vous avez composé la musique de plusieurs films à succès...

Jean Musy : J'ai travaillé, entre autres, avec Costa-Gavras (Clair de femme), avec Jean-Marie Poiré (Papy fait de la résistance), avec Gérard Oury (Vanille fraise) et avec Jean-Claude Brisseau pour cinq films, notamment Noce blanche...


Pour Papy fait de la résistance, est-il vrai qu'on vous a donné trois mois pour composer la musique ?

Non, j'ai eu un mois et demi ! Quand il était plus jeune, Jean- Marie Poiré avait enregistré un disque de rock and roll avec le groupe The Frenchies et sur un de ses disques, Claude Dejacques m'avait demandé d'écrire les cordes. Jean-Marie s'en était souvenu... Et quand il a fait Papy, il m'a demandé d'écrire la musique. Mais tout a été fait au dernier moment.


En France, la musique de film passe pour être le parent pauvre de la production. Son budget est constitué de ce qui reste...

Effectivement, et ce n'est pas la production du film qui a financé la musique, mais Pathé Marconi.


La version « hénaurme » de Je n'ai pas changé, par Jacques Villeret, est une séquence qui était prévue ?

Ce qui était prévu, c'est que Villeret chante Je n'ai pas changé, mais... « normalement » ! J'avais réorchestré la chanson et Jacques était venu chez moi. C'était un mec assez timide : « Je ne vais jamais oser chanter ça... », me disait-il. Comme on avait un peu picolé tous les deux, il me dit : «Tu n'as pas un micro là ? On va le faire maintenant... » Je n'avais pas d'autre pièce pour enregistrer, alors il est allé chanter dans mes toilettes, assis sur le trône ! Je lui ai installé un micro et un casque et il a fait deux prises en déconnant...


C'est cette version qu'on entend dans le film ?

Oui. On l'a faite écouter à Jean-Marie Poiré qui a adoré : « C'est ça qu'il nous faut ! » Et pour le tournage, Villeret a été filmé en train de chanter en play-back.


Jacques Villeret « picolait » beaucoup ?

Beaucoup trop. À la fin, c'était même navrant. J'avais travaillé avec lui sur une pièce de théâtre, La Contrebasse, et certains soirs, il ne savait plus où il en était, il ne se souvenait plus des textes... Mais c'était un homme gentil, limpide. Trop pour ce monde-là. Il était malheureux. Mais comment être heureux dans ce monde ? Ce n'est pas possible. Il faut être totalement inconscient ou être tellement sûr de soi qu'on écrase tout... Mais ce n'était pas le genre.


En général, vous composez à partir des textes ?

Oui, toujours. Je ne peux pas travailler autrement, même si cela m'est arrivé quelques fois. J'aime les mots. C'est pour ça que je compose avec le texte sous les yeux. Comme le dit Anne-Marie David, avec qui je travaille, les mots ont déjà des couleurs... Lorsque je rencontre des enfants dans les écoles, je leur parle plus souvent de peinture que de musique car il existe des correspondances entre les couleurs et les notes de musique. Les couleurs, ça n'existe pas. Ce sont des vibrations. Comme les voix. Si je devais refaire ma vie, je serai peintre ou comédien. Et je ferai de la musique en plus.


Propos recueillis par Raoul Bellaïche

Merci à Jean Musy et à Anne-Marie David.


Photo © Georges Chatelain, août 2012, Paris.


« Rétrospective Jean Musy. Ses plus belles musiques pour l'image », CD en vente sur le site www.musicbox-records.com 

• Page Facebook : Jean Musy Compositeur



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