« Ils m'ont apporté du sang neuf pour le vampire que je suis... », affirme l'ancien chanteur des Chats Sauvages, à propos de la nouvelle génération d'auteurs, de compositeurs et de musiciens dont il s'est entouré depuis une douzaine d'années. Entretien avec Dick Rivers, le 31 octobre 2017, dans les locaux de sa maison de disques.
En 55 ans de carrière solo, qu'est-ce qui, selon vous, a changé dans le monde de la musique populaire ?
Énormément de choses. D'abord, les ventes de disques qui ne sont plus du tout les mêmes : auparavant, un disque d'or, c'était un million d'exemplaires vendus en France et cent mille au Canada. Aujourd'hui, un album d'or au Québec, c'est cinquante ou soixante mille disques vendus et en France aussi...
Depuis 2006, vous vous êtes entouré d'une nouvelle génération d'auteurs, de compositeurs et de musiciens... Qu'est-ce qu'ils vous ont apporté ?
Du sang neuf pour le vampire que je suis... J'ai toujours été approché par ce qu'on appelle la nouvelle génération. j'ai travaillé avec Matthieu Chédid, Joseph d'Anvers, Mickaël Furnon, Benjamin Biolay... Pour certains, je représente les années 60, pour d'autres, les années 70... Mais je me considère comme un éternel débutant qui a toujours besoin de se ressourcer. Comme je n'écris ni ne compose, j'ai toujours besoin de trouver des collaborations nouvelles. Et dans ce cas, je n'exploite que ma voix. C'est mon seul instrument, ma seule « valeur ajoutée »... C'est quelque chose qu'ils ont très bien compris. Je crois qu'ils me respectent et m'aiment pour ce que j'ai représenté et ce que je représente. C'est comme lorsque je faisais de la radio – neuf ans à RMC et trois ans à Radio France – et que je racontais l'histoire de la musique d'hier à aujourd'hui. Finalement, je suis toujours pareil... Pour revenir à votre question, je vous dirai que les rencontres sont très importantes pour moi. Ma vie n'est faite que de rencontres.
Vous n'avez pas eu un parcours linéaire, « pépère »...
Pas du tout. Mais je n'ai pas eu, non plus, un parcours en dents de scie.
À l'époque du yéyé, vous n'avez pas défrayé la chronique ?
Je me suis marié en 1965. J'ai divorcé très vite aussi... Mon fils, Pascal Forneri, est un merveilleux réalisateur de documentaires musicaux. Celui qu'il a réalisé sur la musique italienne, Comme un air d'Italie, est magnifique. En regardant ce film, on se rend compte qu'on les connaît toutes, ces chansons italiennes...
Vous parliez de votre voix. Dès Les Chats Sauvages, on avait remarqué votre belle voix. Vous l'aviez travaillée ? Vous avez pris des cours de chant ?
Pas du tout. C'est naturel. Et, toute prétention mise à part, je trouve qu'elle s'améliore en vieillissant. Dans cette compilation, on voit bien l'évolution : dans Baby John, j'ai treize ans, et j'en ai soixante et onze aujourd'hui... Le temps a passé.
Dans les années 60, est-ce que vous choisissiez les chansons de vos disques ? Vous aviez votre mot à dire ?
Toujours. On m'a rarement imposé un titre.
En règle générale, est-ce que vous sollicitez vos paroliers pour l'écriture des textes ? Vous leur donnez des indications sur ce que vous voulez chanter ?
Non, je leur fais confiance. Ce sont eux qui voient, à tort ou raison, ce qu'ils veulent me faire dire. Et j'ai été toujours fidèle à mes paroliers. À mes débuts, j'avais souvent Mya Simille. Dans les années 70, il y a eu Serge Koolenn avec qui j'ai fait plusieurs albums et qui m'a écrit plusieurs tubes. On a eu une très belle traversée artistique ensemble. En réalité, je me confie à mes paroliers un peu comme un acteur au cinéma...
Vous n'êtes pas frustré de n'être qu'un interprète ?
Non, pas du tout. Et j'en suis même très content. Je suis comme Hallyday, Montand, Piaf : un interprète. Et je trouve que c'est un avantage parce que l'on est jugé sur l'interprétation et la personnalité. Un auteur est jugé sur l'écriture de ses chansons et non plus sur son interprétation.
Je me souviens que l'album de Francis Cabrel avec les adaptations de Bob Dylan m'avait un peu déçu... Pour Francis, c'était énorme car il avait traduit la pensée de Bob Dylan. Moi, je n'ai pas accroché car, pour moi, Francis ce n'est pas ça. Francis m'a écrit une chanson magnifique, Les yeux bleus pleurant sous la pluie, une adaptation de Blue eyes crying in the rain. Moi, j'adorais la version de Willie Nelson et, un jour que nous étions en tournée, j'en ai parlé avec Francis. Le lendemain, il m'a apporté le texte et c'est une merveille. [Ce titre, Les yeux bleus (Pleurant sous la pluie) figure en « plage cachée » sur l'album de Dick Rivers paru en mars 2006.]
En 1990, vous aviez fait une assez longue tournée avec Francis Cabrel...
C'est une tournée qui a duré deux mois, on a fait un grand nombre de villes. À Paris, nous sommes restés une semaine au Bataclan. On aurait pu y rester plus longtemps, d'ailleurs...
C'est vrai qu'il n'existe pas d'enregistrement de ce spectacle ?
Rien ! C'était du rock and roll pur et dur ! Les spectateurs ne venaient pas pour entendre Je l'aime à mourir ou L'encre de tes yeux... Cabrel chantait Chuck Berry et tous les classiques de blues et de rock. Il n'en a pas l'air comme ça mais, avant de faire la carrière que l'on sait, Francis a été musicien de bal pendant longtemps... Il a une culture musicale très variée.
C'était une idée de vous ou de lui ?
De lui. Nous étions passés tous les deux dans une émission de télévision sur les 25 ans des Beatles qui avait été tournée à l'Olympia [le 28 mars 1987]. Il m'avait vu faire un tabac et m'a dit : « Mais pourquoi ne remontes-tu pas sur scène ? » À l'époque, je ne faisais plus de scène et je lui ai expliqué que je n'étais pas organisé pour ça... « Je m'occupe de tout ! » Et c'est comme ça qu'il s'est payé... Dick Rivers ! Pour lui, j'étais le meilleur chanteur de rock en France.
Vous avez commencé à chanter à l'âge de quinze ans. Vous étiez précoce !
J'ai signé mon premier contrat avec une maison de disques le jour de mes quinze ans : le 24 avril 1961. Il fallait l'autorisation des parents car la majorité était alors de vingt et un ans.
Comment vous êtes-vous retrouvé chez Pathé Marconi ? Vous connaissiez quelqu'un dans la maison de disques ?
C'est une longue histoire... À un moment, on nous a dit : le rock and roll commence à marcher en France, il y a Johnny Hallyday... Avec Les Chats, nous sommes montés à Paris et on a passé une audition chez Pathé. Jean-Paul Guiter nous a signés et il est devenu notre directeur artistique. C'est lui qui nous a « fabriqués ».
Vous avez auditionné avec des standards ?
Oui, bien sûr. À l'époque, chanter du rock and roll en français était quelque chose d'impensable. Pendant très longtemps, j'ai chanté des textes en français, sans m'intéresser du tout à ce que je racontais... Pour moi, ce n'était que musical. Ce que je voulais, c'était chanter en anglais. Ce que j'ai fait, d'ailleurs, dans des shows TV en Angleterre et aux États-Unis.
Dans l'un de vos livres ou dans une interview, vous avez dit : « Je n'ai pas eu d'adolescence. » Pourquoi ?
Je suis né en 1946 et, en très peu de temps, je suis passé de la bicyclette à la Cadillac ! Je suis tout de suite passé du flirt innocent à des relations avec des filles dignes de ce nom... À quinze ans, je me suis retrouvé sur la scène du Palais des Sports avec Les Chats. J'ai appris ma vie d'homme et ma vie professionnelle à l'envers... Aujourd'hui, à mon âge, je me considère presque comme adulte. J'ai une femme extraordinaire qui s'appelle Babette. Nous sommes ensemble depuis près de quarante ans.
Le succès que vous avez eu avec Les Chats Sauvages puis en solo ne vous a pas tourné la tête ?
Pas du tout, dans le sens où je faisais la musique que j'aimais et je trouvais normal qu'on l'aime.
Vous pensiez que ça allait durer ou alors vous appréciiez les choses au jour le jour ?
On ne voyait pas beaucoup plus loin... Pour moi, quand j'avais quinze ans, un mec de trente ans c'était un vieux... Vous savez, je quelqu'un qui se remet en question en permanence. Je suis conscient et très fier d'avoir vécu ce que j'ai vécu et d'avoir fait les rencontres que j'ai faites. Tout le monde me parle de ma rencontre avec Elvis Presley, avec les Beatles...
Vous avez vraiment rencontré Elvis Presley ? La photo où l'on voit avec lui dans un ascenseur n'est pas un montage ?
Non, c'est une vraie photo ! Et ce n'est pas dans l'ascenseur, mais devant l'ascenseur qui amenait aux loges. La photo avait été prise avec le Pocket Instamatic de ma femme de l'époque. Ce n'est pas une photo professionnelle, bien évidemment, mais j'étais tellement content de le rencontrer et de parler avec lui que je n'allais pas, en plus, exiger de lui qu'il prenne la pose... C'est une vraie rencontre, je vous assure, j'ai les originaux. Deux photos ont été prises, sur lesquelles j'ai une tête de benêt. Je souris tellement je suis heureux... Elvis était très, très beau à cette époque, en 1969. C'était un an après le NBC TV Special, le fameux show de son retour.
Vous avez chanté Elvis ?
Une ou deux chansons. Plus tard, j'ai enregistré In the ghetto, avec un texte de Maurice Achard. Non, moi, je ne touche pas à Elvis...
En revanche, vous avez enregistré pas mal d'adaptations des Beatles, mais pas des Stones...
Pourtant, les Rolling Stones étaient mon groupe préféré... Entre les deux, je préférais les Stones. Des Beatles, j'ai dû enregistrer quatre ou cinq titres.
Vous avez certainement constaté que vous aviez davantage de succès avec des slows comme Sous le ciel écossais ou C'est pas sérieux...
C'est exact, mais c'est le cas de tous les chanteurs de rock. Faites un bilan et vous verrez que les plus gros succès d'Elvis, d'Hallyday, de Cliff Richard ont toujours été des ballades. J'ai toujours aimé les ballades.
La version française de C'est pas sérieux est peut-être meilleure que l'originale, Theme for a dream...
C'est ce qu'on me dit... Mais à l'époque, les versions originales n'étaient pas connues du grand public. Aujourd'hui, quand un disque sort le lundi à Los Angeles, il sort le jour même dans le monde entier. Avant, il y avait un très grand décalage et quand une chanson avait du succès en France, la version originale était souvent complètement ignorée. C'est ce qu'on voit dans le documentaire de mon fils sur les chansons italiennes : en France, on connaissait ces chansons par les versions de Dalida, Hervé Vilard, Régine...
Vous-même avez enregistré des adaptations de chansons italiennes...
Il y en a une qui a été un succès énorme au Canada : Viens me faire oublier (Mi piaci come sei). Elle se trouve sur la compile.
Comment expliquez-vous le succès que vous avez eu au Québec ?
J'y suis allé pour la première fois fin 1965 et j'y étais encore il y a deux ans. Là-bas, je suis un autre... Dick Rivers ! Il faut savoir que quatre-vingt pour cent des chansons que je chante au Québec ne sont pas les mêmes que celles que je chante en France... C'est passionnant, en dehors du fait que cela m'a obligé à avoir deux équipes, une en France et une autre là-bas. Ce ne sont pas les mêmes musiciens. Mis à part ces petits inconvénients, c'est très agréable...
Vous leur chantez des chansons qui sont passées inaperçues en France...
Beaucoup. Viens me faire oublier, dont je viens de vous parler, a été numéro 1 au Canada pendant de longs mois. C'est un hymne là-bas, et si je ne la chante pas...
À un moment, vous avez approché Serge Gainsbourg...
Je l'ai connu à l'époque où il vivait encore à la Cité universitaire. Il m'avait joué une chanson que je n'avais pas aimée. À l'époque, on connaissait Serge surtout pour des chansons comme Le Poinçonneur des Lilas ou L'eau à la bouche. Nous nous sommes retrouvés des années plus tard et je lui avais demandé : « Serge, ça me ferait très plaisir... » Il m'a répondu aussitôt : « Tu te rappelles, je t'avais fait une chanson et t'en as pas voulu... » Il s'en souvenait... Mais il faut dire qu'à l'époque yéyé, les chanteurs comme moi ne sollicitaient pas beaucoup les compositeurs français. C'était très rare. Mais il y en a eu quelques-uns comme Guy Magenta, avec qui j'ai beaucoup travaillé, ou Jack Arel.
Vous avez eu une bonne équipe à un moment.
Oui, c'était des fidèles. J'ai eu Jacques Revaux pour les musiques, Ralph Bernet pour les paroles...
Est-il vrai que Jacques Revaux vous avait fait écouter Comme d'habitude bien avant que la chanson ne soit connue ?
La chanson était destinée à Sheila, avec un autre texte... Elle avait été écrite en anglais parce que, à l'époque, les interprètes préféraient les trucs anglais... Sheila n'en a pas voulu et la chanson s'est retrouvée chez Claude François.
Sélection de treize interprétations de Dick Rivers (INA)
Comment avez-vous vécu l'après Chats Sauvages ?
Quand j'ai quitté Les Chats Sauvages, j'habitais à Paris, 5, rue Balzac. En tournant à droite, j'avais le siège de Pathé Marconi, rue Lord Byron, je tournais à gauche et j'avais mon imprésario Georges Leroux qui habitait rue Châteaubriand. Je traversais les Champs-Élysées, je pouvais aller au cinéma voir des films en version originale – c'était le seul endroit. Si je voulais acheter un bouquin, j'avais le Drugstore jusqu'à deux heures du matin... Il y avait aussi La Caravelle, un bar-restaurant qui était ouvert jour et nuit et où on l'on se retrouvait tous... Je traversais les Champs et j'avais d'un côté Europe n° 1, rue François Ier, et de l'autre RTL, rue Bayard...
À cette époque, le relationnel était très important. Dès qu'on avait une heure à perdre, on la passait dans notre maison de disques. On allait aussi beaucoup à Europe 1, pas seulement pour l'émission Salut les copains ou parce qu'on était en promotion, mais aussi pour les programmateurs et les animateurs... C'était juste pour le plaisir de les revoir et de parler avec eux. J'étais copain avec Michel Cogoni, Maurice Biraud, Hubert Wayaffe... Aujourd'hui, c'est quelque chose qui n'existe plus.
Vous avez connu la musique américaine parce qu'il y avait une base US du côté de Nice ?
Il y en avait dans plusieurs régions. Depardieu, c'était à Châteauroux, Bashung, c'était dans l'Est, du côté de Strasbourg, et moi à Nice. À Villefranche-sur-Mer, près de Nice, il y avait tous les portes-avions. Le dimanche, quand j'étais petit, avec mes parents, on allait visiter les bateaux américains et manger du popcorn...
Vous avez été familiarisé très vite avec l'Amérique...
Oh la la ! Quand j'étais tout petit, les Américains me donnaient du chewing gum et plus tard des cigarettes... Les Américains vivant en France avaient leurs voitures – dans les années 50, il y avait beaucoup de voitures américaines en France –, leurs cinémas... À Nice, l'Édouard VII ne passait que des films en VO, avec le distributeur de popcorn et la machine à hot dogs... J'ai vraiment vécu dans cette ambiance, entouré d'Américains. En 1967, quand je suis allé pour la première fois à Los Angeles, pour une émission de télé, j'ai vu des palmiers et je me suis dit : « Mais c'est Nice ! » On aurait dit Nice, avec la température, le ciel bleu...
Mais vous écoutiez aussi de la chanson française ?
Beaucoup Brassens, Bécaud, énormément. Aznavour, un peu moins, juste quelques chansons comme Sur ma vie. J'adorais Bécaud. Une de mes plus grandes joies est de l'avoir rencontré. Bécaud et moi, on avait eu un parcours un peu similaire : il avait été à la même école que moi à Nice, l'école Sasserno. La première fois que j'ai entendu Les Marchés de Provence, je me suis dit : « Mais ce type-là, il connaît obligatoirement Nice ! » Car à la fin de la chanson, il crie : « Alla bella poutina... » C'est une expression que l'on entend place Saint-François. La poutine, ce sont des alevins de poissons, un plat typiquement niçois. On peut en manger à Nice une semaine par an. Les Niçois adorent ça sur du pain avec du citron, soit en omelette ou en beignet... Quand je suis allé au Canada en 1967, partout je voyais écrit « poutine »... Mais chez eux, la poutine, c'est tout autre chose !
En 1981, il y a eu la reformation des Chats Sauvages, le temps d'un disque. Pour la plupart, les textes de ces nouvelles chansons étaient de Thierry Séchan, le frère de Renaud.
Thierry était fan et avait accepté de le faire. Mais c'est un très mauvais souvenir. Humainement et musicalement, ça a été très pénible... J'avais été l'instigateur de ce projet car les gens me parlaient sans arrêt des Chats Sauvages – « Ah ! quelle belle époque ! »... Je me suis dit : « Eh bien, on va la refaire pour un disque. » Et on l'a fait, avec la complicité de mon batteur, Willy Lewis.
En 1981, il n'y avait pas de machines comme maintenant, pas de Pro Tools et tout ça... On faisait des prises directes. Et quand ça n'allait pas, on refaisait. Faire un disque aujourd'hui, c'est la croix et la bannière, il y a tellement de possibilités... Ça peut être sans fin car on peut toujours faire mieux. C'est pour ça que Laurent Voulzy met une éternité à sortir un nouveau disque !
Vous aimez le travail de studio ?
Oui, mais pas à ce niveau-là. Je donne mon avis, mais je laisse faire le réalisateur du disque. Sinon, ça rend fou...
Qui avait trouvé le nom du groupe ?
Chats Sauvages est la traduction de Wild Cats, le groupe de Marty Wilde, le papa de Kim Wilde. C'était un de mes chanteurs préférés.
Ce sont vraiment les Chats Sauvages qui jouaient sur les disques ? À l'époque yéyé, il y a eu parfois des doutes...
Sur nos disques, c'était vraiment les Chats qui jouaient... Musicalement, c'était le meilleur groupe pour l'époque.
Est-ce que vous pensiez faire une carrière dans la musique ?
Pas du tout. J'avais treize ans quand je suis tombé dans le rock and roll et je ne voyais pas plus loin que ce qui me passionnait... J'ai d'ailleurs appris à parler couramment anglais parce que, tout petit, je demandais à mes profs d'anglais la traduction de chansons d'Elvis et d'autres... Et comme il y avait beaucoup d'Américains à Nice, j'ai toujours été entouré d'anglophones. Lorsque j'ai quitté les Chats, j'ai eu un groupe anglais qui s'appelait Les Krew Kats. J'ai toujours vécu dans ce monde anglophone.
Vos parents ont été cool avec vous, ils vous ont laissé faire ?
Oui, mais parce qu'ils pensaient que c'était une passade et que j'allais revenir vers le droit chemin... J'avais quinze ans et ils se sont dit : « Il va rater une année et puis il va rentrer la queue basse... » Et c'est d'ailleurs presque ce qui s'est passé. Le premier 45 tours des Chats est sorti en mai 1961 et je les ai quittés, en plein boum, en août 1962, à Nantes, et je suis rentré à Nice.
Sur un coup de tête ?
Non, je ne m'entendais plus du tout avec eux. C'est ce qui se passe dans tous les groupes. Pour mon père et ma mère, c'était presque un cri de soulagement... C'est alors que Jean-Paul Guiter m'appelle : « Dick, je t'avais promis de te faire un disque seul. On va le faire. »
Parmi vos disques, il y a un album un peu particulier, celui avec le point d'interrogation, sorti en 1969, et qui vient d'être réédité. C'était ce qu'on appelait un « concept album » ?
Effectivement, c'était l'époque des « concept albums ». J'ai enregistré ce disque chez Bernard Estardy, rue Championnet, avec un grand orchestre à cordes dirigé par Paul Piot. Il était conçu en deux actes et onze thèmes, avec Gérard Manset qui disait les textes de liaison... On voulait faire une sorte de comédie musicale. Les radios en étaient dingues, elles en passaient des faces entières le soir ! Par contre, les fans... C'est un disque qui n'a pas beaucoup marché.
Ça racontait quoi ?
Il y avait toute une histoire avec les chansons, ça parlait de la vie, de l'amour, de la mort... Il y avait des orchestrations qu'on n'avait pas l'habitude d'entendre, de la bossa nova, des titres arrangés avec un orchestre de chambre...
Plusieurs textes étaient signés par une certaine Alice Malachina.
Alice était la compagne de l'arrangeur Paul Piot.
Christine Fontane avait écrit les textes avec vous. Et pour les musiques, il y avait Alain Chamfort, qui s'appelait encore Alain Legovic...
En 1968, j'ai été le premier producteur d'Alain Chamfort. Je l'ai lancé sous son nom d'Alain Legovic chez Pathé Marconi (Odéon). Il avait une chanson qui s'appelait La Semaine et qui avait bien marché, pour l'époque. On avait fait un super 45 tours avec quatre titres, puis un autre.
Vous avez dit dans une interview : « Je n'ai commencé à apprécier la langue française qu'à partir de 1967 ou 1968. »
Oui. justement à travers des artistes comme Gérard Manset. Leurs textes commençaient à me plaire plus que la littérature anglaise. Quand j'écoute un disque anglais ou américain, la première fois, je l'écoute comme n'importe qui : je reçois le son, l'interprétation, et après, si ça me plaît, je me penche sur le texte.
Je continue à penser qu'un vrai rock – comme celui dans lequel je suis tombé quand j'étais tout petit – n'est pas faisable en français. Ce n'est pas la langue française qui est ridicule, c'est la traduction. Et là, j'ai commencé à rencontrer des gens qui maîtrisaient bien la langue française en tant qu'auteurs.
C'est l'époque où vous avez beaucoup travaillé avec Serge Koolenn...
Oui, puis il y a eu Bernard Droguet dans les années 90, à l'époque de « Linda Lu Baker » et « Holly days in Austin ». Dans les années 80, Didier Barbelivien m'avait écrit N'en rajoutes pas, mignonne, une chanson qui avait bien marché. Ça sonnait vachement FM...
Dans les années 80, vous avez aussi utilisé les synthés, comme tout le monde...
Oui, mais aujourd'hui, les synthés ne sonnent plus comme des synthés... Aujourd'hui, c'est fait pour remplacer des instruments. Dans les années 60, les Moody Blues avaient utilisé le mellotron.
En 1971, sous le titre L'homme qui se rappelle, vous avez enregistré une belle version de Melancholy man, des Moody Blues...
Des mêmes Moody Blues, quelques années auparavant, j'avais repris Go now, sous le titre Va t'en. Et ça avait été un tube énorme !
Vous avez parfois tâté du style folk : vous aviez enregistré une adaptation de Colours, de Donovan...
C'était à Londres. Il y a Jimmy Page à la guitare et à l'harmonica.
Je crois que vous avez connu tous ces musiciens anglais...
Non seulement j'ai connu tous ces musiciens anglais, mais j'ai toujours travaillé avec eux. À l'exception d'Eric Clapton et de Jeff Beck, j'ai joué avec tous les autres... Tous les grands guitar heroes.
Beaucoup de vos disques ont été enregistrés à Londres.
Oui, Londres ou alors aux États-Unis. J'ai aussi enregistré en Lousiane, à Bogalosa, à l'époque de Faire un pont.
Sur vos derniers albums, il y a quelqu'un que je ne connais pas. C'est qui, Oli Le Baron ?
C'est un guitariste formidable. Il est Français, son vrai nom est Olivier de la Celle, mais tout le monde l'appelle Le Baron. Il m'a écrit Pas de vainqueur, un très joli texte.
Sur ce triple album « 5/5 », vous aviez repris une chanson de Moustaki, J'ai vu des rois serviles... Pourquoi celle-là et pas une autre ?
C'est un jour où on faisait des essais de chansons qui n'étaient pas à moi, et parmi toutes celles qu'on m'a fait écouter, il y avait celle-là que je ne connaissais pas. Elle m'a plu, je l'ai essayée et on l'a gardée. J'ai fait pareil avec Marie de Daniel Lanois. Et en bonus de la compile « 5/5 », il y a C'est extra de Léo Ferré. Un jour, on m'avait demandé de participer à un hommage à Léo. C'est à cette occasion que j'ai enregistré cette version de C'est extra. Pour le disque, on a juste rajouté des guitares, mais au départ, c'était simplement guitare-voix. C'est cette version « rhabillée » qui figure pour la première fois sur un disque.
Eddie Barclay n'a jamais essayé de vous attirer dans sa maison de disques ?
Jamais. C'est marrant, non ? Mais il avait déjà Eddy Mitchell !
Propos recueillis
par Raoul Bellaïche
• « 5/5 » : triple CD (Parlophone).
• Site : www.dick-rivers.com
• Entretien publié dans JE CHANTE MAGAZINE n° 15 (décembre 2018).
http://www.lefigaro.fr/musique/francis-cabrel-julien-dore-et-la-ville-de-nice-rendent-hommage-a-dick-rivers-20190424