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Les faux Anglais

Espagnols (Los Bravos, Pop Tops), Grecs (Aphrodite’s Child), Américains de Paris (Irrésistibles), Norvégiens (Titanic), Algériens (Turkish Blend), Belges (Wallace Collection), Français (Jupiter Sunset, Aleph, Lover’s Love)... Du milieu des années 60 au début des années 70, nombreux furent ces « faux groupes anglais » à avoir fait les beaux soirs des discothèques. Voici l’histoire de quelques-uns d’entre eux.

Turkish Blend

Ils tirent leur nom de groupe de la formule inscrite sur... certains paquets de cigarettes. Turkish Blend, ce sont Yacine et Malik, vedettes pop en Algérie au début des années 70. En France, ils connaissent un petit succès avec deux 45 tours publiés par CBS en 1972 et 1973 : No tears, no lies puis Fairy Tale. Un duo façon Simon and Garfunkel, de belles harmonies vocales à la Beatles, des chansons chantées en anglais, un sens du tube...

À Alger, le duo Turkish Blend est aussi connu sous le nom de Yacine et Malik. De son vrai nom Ahmed Hattab, Yacine est le fils du comédien et metteur en scène algérien Habib Réda (1919-2013). Malik, dont le vrai nom est Abderahmane Bachammar, est le neveu de Mahieddine Bachtarzi (1897-1986), chanteur d’opéra (il fut surnommé « le Caruso du désert »), musicien et homme de théâtre. Tous deux sont originaires de la commune de Bologhine (anciennement Saint-Eugène). Ils font leurs débuts dans le groupe The Quents, fondé par les grands frères de Malik et se produisent en Algérie.

Au début des années 70, ils sont à Paris pour suivre des études de médecine et de droit. Mais la passion de la musique est plus forte... En 1972, ils sont « signés » par CBS qui publie sur le label Epic leur premier 45 tours avec No tears, no lies, un titre qui sera beaucoup diffusé dans le Maghreb. « Say the words and let me go home... » Un deuxième 45 tours est publié dans la foulée avec Fairy Tale, un joli titre qui alterne partie lente et partie rythmée. Sur leur troisième disque publié par Epic l’année suivante, ils chantent cette fois en français. Ahmed Hattab et Abderahmane Bachammar signent paroles et musique sur les arrangements de Jean Musy (pour les deux premiers 45 tours) puis de Guy Mattéoni.

Ce que l’on sait moins, c’est que Turkish Blend a été produit par Adamo (A. A. Music). À cette époque, Salvatore venait de connaître un grand succès comme producteur d’un jeune chanteur aveugle qu’il avait découvert et lancé en 1971 : Gilbert Montagné, avec The Fool.

On perd la trace de Malik et Yacine après un autre 45 tours enregistré chez Tréma/Rca à la fin des années 70. Puis ils créent, au début des années 80, un nouveau groupe appelé Crosswinds et enregistrent un album à New York.

En 2011, ils s’étaient produits au Centre culturel Gérard-Philipe de Brétigny-sur-Orge, dans la région parisienne. Un extrait de leur prestation a été diffusé dans Papiers, s’il vous plaît, une émission régionale de France 3.

Écouter "No tears, no lies" par Turkish Blend

 

Lover’s Love

Lover’s Love est un groupe français à qui l’on doit un des tubes de l’été 1971, le slow Youth has gone. Constituée en 1969, la formation se compose de Marco Attali (chant et batterie), Gilbert Courtois (guitare), Bernard Baverey (basse), Richard Sanderson (claviers).

Le site airbil.com consacre à ce groupe plusieurs pages particulièrement bien documentées et illustrées.

« Le nom Lover's Love, raconte l’auteur anonyme, est né un soir d'été 1968 de l'esprit de Ubu (animateur TV célèbre à l'époque). Nous avions rendez-vous à bord de son yacht le Gallus à Nice pour jouer à une de ces soirées, nous n'avions pas de nom. Lover's Love, voilà ! Vous êtes les amoureux de l'amour ! Nous avons joué à bord du Gallus pour la première fois sous le nom de Lover's Love sans Marco coincé par son service militaire. [...]

Arrivée à Paris le 16 janvier 1971, le premier rendez-vous commence rue de Miromesnil aux éditions AGEA, Michel Clarenzo et Jean-Pierre Stretti les attendent pour leur faire écouter quelques titres. »

De tous les titres proposés, c’est une chanson de Michel Bernholc et Jean-Pierre Stretti qui retient l’attention : Amour de papier. Parfaitement bilingue, Richard Sanderson (qui enregistrera plus tard Reality, la chanson du film La Boum) écrit l’adaptation anglaise d’Amour de papier qui deviendra Youth has gone.

« Leurs amis d'AGEA trouvent très vite un local. Le 1er février, au 76, rue Saint-Denis, les répétitions commencent dans les caves d'un antiquaire. Les antiquaires de la rue Saint-Denis ouvrent les portes aux musiciens. Les groupes parisiens sont dans le même secteur, les musiciens se retrouvent dans les brasseries et les sandwicheries mobiles du quartier. Les Lover's Love répètent et rodent les deux titres : Youth has gone et After yours. Ils entrent dans les studios Vogue, rue d'Hauteville le 25 février 1971. Séance d'enregistrement de 9 heures à 3 heures du matin : une journée exceptionnelle de richesse et une épreuve redoutable dirigée par le directeur artistique Gérard Hugé. »

« Find the reason why I left my home when I was young... », chante Marco Attali sur fond de piano : quatre minutes trente secondes d’un slow conçu pour... « emballer » ! Youth has gone a été un tube également en Italie. La même année, la maison de disques Vogue connaîtra un autre succès avec Venitian Adagio, chanté par le groupe Moonlight.

Écoutez "Youth has gone" par Lover's Love

• www.airbil.com/Lovers'%20Love/Lover's%20Historique%20html/Lovers-Love-historique-master.htm

• Site de Marco Attali : somuchrecords.com/Marco-Attali.htm

 

Jupiter Sunset

Jupiter Sunset est un quatuor formé de François Auger (batterie), Jacques Certain (basse), Dominique Perrier (orgue) et José Bartel (chant).

Sur son site, le compositeur Alain Wisniak raconte : « Pour une séance d’enregistrement, nous créons de toutes pièces un groupe, Jupiter Sunset, avec l’équipe de Fugain et la complicité de Boris Bergman. Le disque sort et, à ma grande surprise, passe à la radio et se vend comme des petits pains. » (1)

Signée Al Blakins pour la musique, Boris Bergman pour les paroles, Back in the sun est un des slows de l’été 1970. La pochette du 45 tours, jaune comme le soleil, est illustrée d’un dessin de Patrick Ghnassia. « On a fait ça pour s’amuser, dit Boris Bergman. C’était un peu le contrepied de Rain and tears : après la pluie et les larmes, c’était le retour au soleil... »

Derrière le nom du compositeur, Al Blakins, se cachent deux routiers de la chanson française : Michel Jourdan et Armand Canfora. Jourdan et Canfora composeront d’autres morceaux pour l’unique album de Jupiter Sunset : Run Pebble run, Monte-Carlo, Two Castles... Hubert Giraud signera Acre of land. Les autres compositeurs sont : Bryan Deeson (Novgorod, Highwayman), D. Mackree (Starlighter, Don’t slame the door when you leave), J. Ghirardello (So long Lorraine). Toutes les paroles sont de Boris Bergman.

C’est l’éditeur Frédéric Leibovitz qui est à l’origine de ce « coup ». Tout comme Rain and tears, qui était l’adaptation du Canon de Pachelbel, c’est un thème de musique classique qui est à l’origine de Back in the sun. « Nous avions un 33 tours du Largo from Xerxes de Haendel et nous l’avions passé en 45 tours... C’est là que la mélodie de Back in the sun nous est apparue comme celle d’un slow de l’été extraordinaire... », dit aujourd’hui Frédéric Leibovitz.

« Jupiter Sunset était un groupe fantôme, ce que les anglo-saxons appellent “a ghost group“. D’ailleurs, on ne voit personne sur la pochette... Partir d’une chanson pour, ensuite, trouver un interprète était une formule qui avait cours à l’époque. C’est Bernard Estardy qui avait fait la prise de son et le mixage. Avec Boris, cet été-là, nous avions eu un autre succès : Darla Dirladada, dont j’étais l’éditeur de la version française. Je venais de lancer ma propre édition, Rhinocéros, en association avec Boris, et comme logo, Gottlib avait dessiné un rhinocéros... Je produisais beaucoup pour Pathé-Marconi. Avec Jupiter Sunset, on a enregistré un album dans la foulée de Back in the sun puis quelques 45 tours. Mais nous n’avions plus retrouvé la magie du premier titre et le groupe s’est arrêté...

Tout de suite après, avec Boris, on a fait Time Machine. C’était un mélange de musique des Andes et de musique pop. Turn back time (2) est, pour moi, un des premiers morceaux de musique world... Avec cette flûte des Andes insérée dans une chanson anglo-saxonne, peu avant que Simon et Garfunkel n’enregistrent leur reprise de El Condor Pasa... »

Écoutez "Youth has gone" par Lover's Love

(1) www.tralalamusic.com/page2_2.html

(2) Enregistré également par Jupiter Sunset sous le titre Over the land. Inédit publié sur le CD Magic Records en 2008.

 

Moonlight

Venitian Adagio, le 45 tours de Moonlight édité par Vogue sort au printemps 1971. Pochette anonyme, comme il se doit, juste un dessin naïf évoquant Venise, un couple promené en gondole...

Sur l’étiquette, la chanson est créditée : B. Marcello, F. Pourcel, F. Harvel, Gordon Gray. Gordon Gray pourrait être l’auteur des paroles anglaises. Le Vénitien Benedetto Marcello (1686-1739) est le compositeur de la musique, Franck Pourcel, l’arrangeur du morceau. Quant à Franck Harvel, il s’agit du pseudonyme d’Alain Boublil, parolier des chansons de Jean-François Michaël (artiste Vogue à cette époque) et futur auteur du livret de la comédie musicale à succès Les Misérables.

Venitian Adagio est l’adaptation anglaise d’un des thèmes du film italien Anonimo Veneziano (Adieu à Venise), réalisé par Enrico Maria Salerno en 1970. Un beau film romantique, dans le sillage de Love Story, interprété par Florinda Bolkan et Tony Musante.

La musique du film est signée Stelvio Cipriani et le thème principal, adapté en français par Eddy Marnay, sera chanté par Frida Boccara sous le titre Venise va mourir sur l’album « Rossini et Beaumarchais » paru en 1972 chez Philips.

L’autre thème passé à la postérité n’est pas de Cipriani. Joué intégralement à la fin du film sous la direction de Giorgio Gaslini, il s’intitule Concerto en ut mineur pour hautbois, cordes et basse continue de Benedetto Marcello... qui n’en est pas vraiment l’auteur, puisqu’il s’agirait en réalité de son frère aîné, Alessandro, moins célèbre que lui... L’Adagio, qui deviendra le thème de Venitian Adagio, est le deuxième des trois mouvements de cette œuvre. 

Chanté en anglais par Moonlight, le Venitian Adagio sera un des slows de l’été 1971.

Écoutez "Venitian Adagio" par Moonlight

• Article paru en février 2017 dans JE CHANTE MAGAZINE n° 13.

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