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"Sorbonne 68", une chanson méconnue de Ted Scotto


 

Moins connu que Dominique Grange ou Évariste, Ted Scotto débute en 1967 sur le label Monde Mélody (Un Noël pour James Bond) puis enregistre un deuxième EP chez Riviera avec des textes d’Armand Lanoux qu’il met en musique. Avec l’une de ces chansons, Daniel, tu cries, il participe l’été 1967 au festival de la Rose d’Or. En novembre 68, il publie chez Véga un 45 tours fortement marqué par les « événements », avec une pochette sans photo au graphisme rappellant les affiches de Mai. « Côté face : des couplets violents qui font revivre un mois de Mai rouge et noir, chaud et froid, anarchique et policé. Côté pile : une phrase historique invite à l’amour libre et tendre », prévient la préface.

Sorbonne 68 (paroles de Janine Prin, musique de Ted Scotto, arrangements de Jean-Daniel Mercier) est un jerk efficace, bien dans l’esprit rhythm and blues du moment :

« Mettre au nu le rouge et le noir

Lénine, Mao et le Che

Passer le monde au laminoir

Sur une autre vie déboucher

Casser du flic et du bourgeois

À coups de mots et [ou] de pavés

Trembler de peur, vibrer de joie

Choisir de vaincre ou de crever

Était-ce mal, était-ce bon ?

Demandez-le à Robert de Sorbon

Était-ce le moment et le lieu ?

Allez le demander à Richelieu...

Des 24 heures sans sommeil

Des nuits d’amour et d’incendie

Un mois de rêve sans pareil

Moins d’enfer ou de paradis

Des haches à l’attaque des troncs

Des barricades de voitures

L’espoir au cœur, le sang au front

Et le souffle de l’aventure

Était-ce mal, était-ce bon ?

Demandez-le à Robert de Sorbon

Était-ce le moment et [ou] le lieu ?

Allez le demander à Richelieu...

Qu’est-ce que tout cela veut dire

Où sont passées nos habitudes ?

Que nous prépare l’avenir

La liberté, la servitude ?

De quoi demain sera-t-il fait ?

De fleurs nouvelles ou bien d’alarmes

Faut-il en rire ou en pleurer

En pleurer... mais de quelles larmes ?

Larmes de sang, larmes de joie

Se sont demandé les bourgeois

Larmes de joie, larmes de sang

Se sont demandé les passants !... »

Il existe une autre version de cette chanson. Plus longue – le tempo a été ralenti et l’arrangement revu –, elle comporte de légères modifications dans le texte et propose deux autres couplets :

« Des mots d’ordre et de révolte

À la peinture ou à la craie

Que le vent de l’Histoire emporte

Cris de guerre, paroles de paix...

Balayer toute autorité

Changer d’affiches et de slogans

Restructurer la société

Main de fer sans prendre de gants... »

En 1968, Ted Scotto se signale comme le compositeur du thème du générique des Shadoks dont la première série est diffusée fin avril. « Avec le thème des Shadoks, l’année 68 a été bénéfique pour moi, rappelle Ted Scotto, mais en ce qui concerne Sorbonne 68, le disque a été interdit de radio dès sa sortie ! C’était un texte plutôt violent pour l’époque, car aujourd’hui dans le rap, par exemple, on va beaucoup plus loin... »

L’auteur de Sorbonne 68 s’appelle Janine Prin, une danseuse-comédienne attirée par la chanson rencontrée au Petit Conservatoire de Mireille. Un matin du printemps 68, elle appelle Scotto : « Ted, il faut qu’on aille à la Sorbonne, je crois qu’il se passe quelque chose... » C’est de ce « quelque chose » que va naître le texte de Sorbonne 68, rapidement mis en musique par Ted Scotto.

Rentrée 68. Un directeur artistique de chez Véga a l’idée de produire un disque sur les « événements » encore chauds... Janine Prin est justement une de ses relations : « Si vous avez une chanson sur ce qui s’est passé, je suis partant pour faire un disque. »

« On a enregistré très rapidement, se souvient Ted Scotto. Il y a eu deux arrangements de cette chanson. Le premier était plus violent, et sur les conseils du directeur artistique, on a essayé de faire un peu plus cool... Ce deuxième arrangement était signé Jean-Daniel Mercier. »

Au verso de ce 45 tours (très rare : merci Michel Gosselin !), Inaugurer les chrysanthèmes est un slow façon A whiter shade of pale, signé Janine Prin et Ted Scotto. « À l’époque, je me produisais souvent au fameux Bal de la Marine, quai de Grenelle. J’y chantais des standards mais aussi mes propres chansons. Sorbonne 68, qui renvoyait directement aux événements du mois de mai, ne passait pas toujours bien auprès du public, à la différence de Inaugurer les chrysanthèmes, car personne ne faisait le rapport avec la phrase qu’avait prononcée De Gaulle lors d’une conférence de presse : “Je ne suis pas là pour inaugurer les chrysanthèmes”... » (2)

Ted Scotto au "Bal de Marine" à Paris. Archives INA, 3 janvier 1970.

Surprise : Sorbonne 68 (version longue) est disponible, avec douze autres chansons de Ted Scotto (album virtuel intitulé « Les grands poètes »), sur le site de la Fnac, uniquement en téléchargement (payant).

Après Sorbonne 68, Ted Scotto enregistre en 1969 un 45 tours sur le label Somethin’Else (Je cours après mes souvenirs). Nouveau 45 tours en 1976 chez Discodis, avec deux poèmes mis en musique, l’un d’Aragon (Comme une étoffe déchirée, plus connu sous le titre C’est si peu dire que je t’aime par Jean Ferrat), l’autre d’Armand Lanoux (une nouvelle version de Daniel, tu cries). Depuis, Ted Scotto s’est spécialisé dans les disques de... relaxation !

Raoul Bellaïche

Paru dans le n° 3 de JE CHANTE MAGAZINE, spécial Mai 68 (numéro épuisé et prochainement réédité).

• Un site très complet présente les différentes facettes de Ted Scotto : http://www.tedscotto.com/index.html

(1) Texte reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur, Mme Janine Prin.

(2) La « petite phrase » exacte est : « D’ailleurs, qui a jamais cru que le général de Gaulle étant appelé à la barre devrait se contenter d’inaugurer les chrysanthèmes... » (conférence de presse à l’Élysée, le 9 septembre 1965.

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