Venu du théâtre, Vania Adrien-Sens chante Paris et ses poètes. Il a navigué dans bien des cafés-théâtres, cafés-musique, cabarets – les mythiques et les autres –, à Paris comme en province et tourné dans quelques films. il a mis en musique divers poètes et participé à la redécouverte de Gaston Couté, poète libertaire (1880-1911). Conteur et chanteur de rue, il balade son orgue de Barbarie et chante dans les rues et les marchés de Paris.
Dans le brouhaha et le tintamarre des témoignages sur Mai 68, je tiens à planter ma petite graine. Refusant la récupération honteuse qu’en font les pachas de la consommation et de la médiatisation à outrance, rappelons-nous qu’une des principales idées du mouvement de Mai 68 était le refus de la société de consommation...
C’est en traversant le haut du boulevard Saint-Michel, en me rendant pour chanter dans une créperie de la rue Monsieur le Prince, face à la Sorbonne, que je fus accueilli par les coups de matraque d’un polichinelle vêtu de cuir noir. Cette terrible grosse mouche fut sans doute effrayée par la petite guitare que je portais sur le dos pour accompagner mes chansons. C’est ainsi que commença pour moi la fameuse aventure de ce mois de Mai-là.
Je revenais d’une tournée de théâtre, avec un spectacle de chansons et de textes de Boris Vian, Cet oiseau extraordinaire, qui faisait écho à l’actualité de l’époque : la guerre du Viet-Nam, la révolte étudiante, le refus du racisme !
Je chantais la nuit dans les cabarets de la Contrescarpe, de Montmartre et des Halles les textes de Léo Ferré, Brassens, Vian, Prévert, alors que dans la journée, avec quelques autres jeunes comédiens de la compagnie du Bus, nous passions des auditions et répétions les poèmes de François Villon, Tristan Corbière et Gaston Couté. Dans un vieil autobus converti en théâtre, avec des sièges en velours rouge récupérés à un cinéma en démolition, et garé sur un terrain vague de la rue Mouffetard, nous accueillons gratuitement le public, qui donnait ce qu’il voulait en nous quittant (cette formule fut souvent reprise depuis). La compagnie du Bus était gérée par les artistes et chaque décision mise au vote, l’autogestion et la démocratie directe, quoi ! Un peu avant les LIP.
Depuis le mois de mars flottait dans l’air un goût de révolte et de liberté, poussé par toute la jeunesse. Ce cri était spontané et non manipulé, comme tente de nous le faire croire cyniquement la droite libérale au pouvoir.
La Contrescarpe, au centre du Quartier latin de Paris, était une fourmilière d’artistes. Au Théâtre Mouffetard, Raymond Rouleau donnait ses cours, Tania Balachova donnait les siens au Théâtre de l’Epée de Bois. Nous découvrions le théâtre d’avant-garde, Grotowsky, le Living Theater, Arrabal et le théâtre de rue.
Au début de ce mois de mai 68, le Théâtre de l’Epée de Bois fut occupé par les comédiens qui l’ont ouvert au public. Sur scène, nous fabriquions, avec les habitants du quartier, des sketches et chansons sur l’actualité et le vécu quotidien. Nous les jouions dans la rue, les usines et les facultés en grève et parfois affrontions la rudesse et les coups de la police ou de groupes d’extrême droite
Un 45 tours avec Ah ! le joli mois de Mai à Paris ! fut enregistré chez Polydor et vendu au bénéfice des grévistes.
« J'ai vu des hommes matraqués
J'ai vu des femmes bousculées
J'ai vu des grenades claquer
J'ai entendu la foule hurler.
Ah ! Le joli mois de mai à Paris ! »
Une autre chanson, La colère :
« Elle s'élève des trottoirs
Des autobus, des caves sombres
Des H.L.M., des cours sans air
La colère... »
Créations collectives dans un esprit de partage et de fête, échange de talents et de savoir, dans l’euphorie de la liberté !
Le théâtre de l’Odéon, les universités comme les usines étaient occupés, et à la Sorbonne, Renaud écrivait ce printemps-là une de ses premières chansons : Crève, salope !
Ce Théâtre de l’Epée de Bois fut évacué et rasé l’année suivante en représailles par Jean Tibéri. La chanson engagée était dégagée de conformisme, de ce conformisme qui fait de nous les adeptes de l’embrigadement publicitaire. À cette époque, Jacques Debronckart chantait :
« Une femme et deux fils qui n'obéissent guère,
À Chatou une résidence secondaire
Le barbecue l'été, le feu de bois l'hiver
Et pendant le mois d'août, je me dore à la mer
J'suis heureux ! »
Cette chanson fut ainsi détournée :
« C'qu'on est heureux,
C'qu'on est heureux,
Dans cette société de con... de con,
Cette société d'consommation... »
Depuis ce printemps-là, et dans le même esprit, nous avons continué à créer des lieux et des spectacles collectifs. N’ayant ni le culte de la personnalité, ni la mercantile envie de participer à l’ubuesque société de consommation, je persiste dans la marginalité et, grâce au soutien et à la solidarité de quelques amis fidèles, parfois accompagné de mon orgue de Barbarie, je continue à tourner « cette petite vis culturelle de la grande roue de la Révolution »...
Que reste-t-il des chansons et des artistes engagés de cette époque ? Dominique Grange vient de faire paraître chez Casterman un luxueux album de ses chansons illustrées par Jacques Tardi, « 1968-2008... N’effacez pas nos traces ! » Un CD collector des chansons du Comité d’Action du Théâtre de l’Épée de Bois, de Jean Édouard, d’Évariste et de quelques autres artistes du Quartier latin doit bientôt paraître sous le titre « Mai 68 comme nous le chantions ce printemps-là ». Ce CD contient une partie du spectacle que, chaque décennie anniversaire, nous avons présenté sur des scènes modestes et géniales, cherchant sous les pavés cette plage tant espérée !
Déjà, quelque mois après les événements, les affiches sérigraphiées de Mai 68 étaient exposées dans les galeries à la mode à Paris, New York, Amsterdam, et vendues à prix d’or.
Aujourd’hui, dans les supermarchés s’entassent des centaines de publications diverses et avariées sur les événements de mai 68 « comme ils disent », alors que nous refusions cette gabegie et que nous mettions sur la pochette du disque Ah ! le joli mois de Mai à Paris, un prix de vente maximun de 5 francs.
Nous nous retrouvons parfois, artistes à la barbe blanchie — par les souvenirs —, à gratter nos chansons d’hier et d’aujourd’hui dans ces petits lieux alternatifs, sympas et d’un commerce équitable, mais marginalisés par la presse si peu curieuse et rarement culturelle, ignarde et d’une suffisante bêtise mercantile.
Quel beau mois de Mai, c’était quand même !
Vania Adrien-Sens
mai 2008
• Site : http://tontonvania.com/index.html
Discographie
3 CD disponibles :
• Le Joueur de Flûte
• La chanson d’un gâs qu’a mal tourné
• Vania chante la Commune de Paris de 1871
Contact Vania Adrien-Sens et Compagnie :
11, rue Jules Lemaître, 75012 Paris.
Tél.: 01 40 19 04 74.
Portable : 06 75 14 81 63.